Il diagolo del Nabucco : l'oratorio à son apogée

À Rome puis dans toute l’Italie et au-delà, les histoires sacrées mises en musique à partir de 1600 par des compositeurs formés à l’écriture religieuse, mais aussi à la déclamation lyrique, constituent un magnifique répertoire dans lequel on ne cesse de dénicher de nouveaux trésors. Leonardo García Alarcón nous fait découvrir Il Nabucco, puissant oratorio composé à Messine par le musicien calabrais Michelangelo Falvetti.


Enseigner, émouvoir, convaincre : à l’âge baroque, tous les arts se virent assigner cette triple tâche par les papes, s’appuyant sur de nouveaux ordres monastiques comme ceux des jésuites et des oratoriens. C’est à ces derniers que l’on doit le terme d’oratorio. Le terme, mais aussi les premières des œuvres dont ils furent les commanditaires. Mettre en situation des personnages de chair et d’os tirés de la Bible, les faire parler, mais surtout révéler leur âme et leur spiritualité au travers du chant, c’est ce à quoi s’attachèrent tous les compositeurs de ces « histoires sacrées » dans la Rome baroque, de Giacomo Carissimi à Alessandro Scarlatti.



L’expansion de l’oratorio à travers l’Europe


Ces compositeurs devaient contribuer à répandre le genre bien au-delà de la Ville éternelle, de manière directe comme Alessandro Stradella en Italie du Nord et Alessandro Scarlatti à Naples, ou indirecte, au travers de leur enseignement : Carissimi eut ainsi pour élève le Français Marc-Antoine Charpentier dans les années 1660, et Scarlatti fut l’inspirateur du Saxon Georg Friedrich Haendel, qui acclimatera plus tard l’oratorio à la langue anglaise avec son célèbre Messie, en 1741.

Le Calabrais Michelangelo Falvetti eut pour initiateur un autre compositeur, romain, Vincenzo Tozzi, maître de chapelle à la cathédrale de Messine. Peu d’œuvres de Falvetti sont parvenues jusqu’à nous, mais on sait qu’il allait lui aussi terminer sa carrière à Messine.



Les dialoghi de Michelangelo Falvetti


On peut mesurer la notoriété qui fut la sienne à l’aune de celle du poète Vincenzo Giattini, auteur des livrets des deux seuls oratorios de Falvetti dont les partitions aient été retrouvées à ce jour. Oratorios ou plutôt « dialoghi » comme on les désigne en ces années 1680. Des dialogues, en effet, qui mettent en situation les personnages bibliques et leur donnent la parole. Avec Il Diluvio universale, il s’agissait, en 1682, d’illustrer les thèmes de la désobéissance et de la punition divine. L’année suivante, Il Dialogo del Nabucco interroge le culte des images, la pureté de la foi et la puissance du martyre. L’ouvrage s’inspire du Livre de Daniel. Le prophète en est l’un des protagonistes avec le roi de Babylone, Nabuchodonosor (pourvu du diminutif Nabucco, comme chez Verdi) et avec les trois jeunes israélites, qui pour avoir refusé de vénérer la statue du souverain, sont jetés dans une fournaise dont ils sortiront vivants. Une lecture édifiante des Écritures qui n’exclut ni l’allégorie ni la psychologie, avec un prologue conviant l’orgueil et l’idolâtrie, un souverain en proie aux cauchemars, des chœurs extrêmement éloquents et une scène finale au milieu des flammes, où le temps est comme suspendu.



De troublantes allusions politiques


La Sicile, annexée par Charles Quint au XVIe siècle, vivait à l’époque de Falvetti des jours difficiles sous le joug espagnol. Un historien précise que « l’ouvrage fut conçu au moment de la disgrâce du vice‑roi Don Francisco de Benavides et en même temps que l’érection d’une statue de bronze à l’eflgie du roi d’Espagne Charles II sur les cendres du palais sénatorial ». Ainsi, les Siciliens pouvaient-ils entendre dans le Dialogo del Nabucco de Falvetti une allusion très transparente à leur situation. Plus d’un siècle et demi avant Verdi et un autre Nabucco, un compositeur n’hésitait pas à stimuler l’esprit de résistance de ses compatriotes. Mais Falvetti et son librettiste se gardent de tout schématisme. Le roi de Babylone est un tyran mais il souffre, il doute, et sombre un moment dans la folie. Arioco, le préfet des milices, apparaît déchiré entre le sentiment du devoir et celui qui le porte à défendre les enfants. Quant au prophète Daniel, basse rayonnante, il est le berger qui demande à ses fidèles de redoubler de foi dans l’adversité.



Un véritable opéra sacré


Nous assistons bien à une action théâtrale et musicale, très proche des opéras composés par Monteverdi et Cavalli dans la Venise des années 1640. Les personnages sont animés par de puissantes passions. Falvetti caractérise chacun en usant de styles, de solutions mélodiques, rythmiques et harmoniques très contrastées, et de formes musicales extrêmement flexibles. Les récitatifs structurent l’action avec le souci d’intelligibilité qui caractérisait déjà L’Orfeo de Monteverdi en 1607. Mais les arias sont nombreux et variés de formes, certains incluant de brefs passages ornés qui préfigurent la virtuosité vocale de Haendel et Vivaldi.



La « touche » de Leonardo García Alarcón


Il faut souligner que, dans le manuscrit découvert à Naples du Nabucco, l’instrumentation n’était pas précisée. Pour redonner vie à cette musique si vivante, si mobile, le chef de Cappella Mediterranea n’a pas hésité à lui apporter des couleurs dont certaines pourront paraître surprenantes. Il s’en explique avec enthousiasme : « Nous avons puisé dans une riche palette d’instruments à vent mais aussi dans les cordes et percussions que l’on connaît, notamment pour les passages significatifs de l’œuvre. Et puis, nous sommes allés du côté de la Turquie, pays dépositaire d’une longue tradition pour tout ce qui concerne les techniques dusoufleetduvibrato. » On entendra, en effet, à côté des harpes et théorbes baroques, les sonorités orientales des flûtes ney et kaval, du hautbois duduk et des percussions iraniennes, et l’on retrouvera dans l’orchestre Keyvan Chemirani, invité en ce même mois de décembre pour le premier programme « voix du monde » de la saison d’Angers Nantes Opéra, Hâl, le voyage amoureux, dédié à la musique persane. Un pont musical entre la Sicile et la région antique Chaldée, où se déroule l’action du Nabucco, s’imposait d’évidence pour Leonardo García Alarcón

Angers Nantes Opéra