Entretien avec Mathieu Bauer

Après sa captivante vision du Rake’s Progress présentée par Angers Nantes Opéra et l’Opéra de Rennes (prix Claude-Rostand en 2022), Mathieu Bauer s’attaque, pour sa seconde mise en scène d’opéra, à un sommet du répertoire lyrique. Il transpose l’action de La Flûte enchantée dans une fête foraine dont il met en lumière un tourbillon festif teinté de mélancolie, sur une musique radieuse que dirige le chef Nicolas Ellis.



Qu’est-ce qui vous touche particulièrement dans La Flûte enchantée ?


Il s’agit du premier opéra que j’ai écouté lorsque j’étais enfant, une formidable porte d’entrée sur l’art lyrique en même temps qu’une expérience intime dans ma construction musicale. Ma fille l’a aussi découvert très jeune, en s’émerveillant du film d’Ingmar Bergman qu’elle voyait chez sa grand-mère. La musique de Mozart est d’une qualité phénoménale, emportant tout sur son passage et nous réconciliant avec le monde, dans une perspective très populaire. La proposition de monter cet ouvrage m’a déconcerté dans un premier temps, ayant toujours eu un peu peur de m’emparer de tels monuments du répertoire classique, mais ce projet m’enthousiasme de plus en plus. La Flûte enchantée se révèle en effet un fabuleux terrain de jeu, où l’on doit parvenir à circuler en dépit des fausses pistes et des bifurcations du livret. De plus, l’œuvre nous parle toujours aujourd’hui, amenant de façon délicieuse une résolution de nos peurs.



De quelle manière allez-vous représenter ce conte initiatique ?


J’ai envie de créer une troupe, comme Emanuel Schikaneder inventant à son époque des machines à rêves dans une sorte d’arte povera. J’adore les fêtes foraines, où demeure quelque chose de très simple par-delà ce qui brille. Lorsque s’éteignent cependant les lumières, on comprend que tout était faux, ce qui me paraît correspondre à La Flûte enchantée, dans une dimension à hauteur d’homme. J’imagine ainsi une première partie riche en couleurs et en artifices, alors que toute illusion s’évanouit dans la seconde, où ne restent que des structures métalliques et de petites baraques éteintes, la lumière intérieure passant par la musique. Pour reprendre les mots d’Heiner Müller, « quand tout a été dit, la musique peut commencer ». Je conçois l'ensemble de l’opéra comme une initiation où un Sarastro bonimenteur affirme qu’à tous les coups l’on gagne, malgré les pulsions de mort traversant cette histoire. L’action est sous-tendue par le désir et la joie, le dénouement affirmant l’espoir d’une société nouvelle.



Comment présenteriez-vous la scénographie et les costumes de Chantal de La Coste-Messelière, et quelle place accordez- vous au merveilleux ?


Je tiens beaucoup aux codes de la fête foraine, aux bateleurs, aux pommes d’amour et au train fantôme, une petite trompette gagnée en loterie suggérant la flûte donnée à Tamino. Les costumes évoquent ceux des années 1960 à 1970, plus excentriques et chatoyants que ceux d’aujourd’hui, mais la hiérarchie vestimentaire sera respectée ; Monostatos, travailleur des basses œuvres, ayant le visage couvert de cambouis. Pour ce qui est du merveilleux, il jaillit avant tout pour moi de situations poétiques, mais on trouvera des procédés très concrets sur le plateau, comme des ballons aux formes d’oiseaux, associés aux trois enfants, mais aussi à Papageno, oiseleur de fête foraine.



Votre travail est-il nourri de références cinématographiques, et quelle est la fonction des images vidéo de Florent Fouquet ?


Ces références font partie de ma grammaire théâtrale, la question du cinéma restant omniprésente, même à l’opéra. Pour entrer dans un univers de contes duquel je suis peu familier, j’ai revu Miracle à Milan de Vittorio De Sica, une utopie très naïve. Mais ce sont surtout des caractères ou des silhouettes qui émergent de certains films, comme l’actrice Joan Crawford, dans son rôle féminin très fort dans Johnny Guitare, pour la Reine de la nuit qui tirera à la carabine sur des ballons. J’ai beaucoup d’empathie pour ce personnage aveuglé par la rage. Le travail de Florent est avant tout celui d’un éclairagiste et d’un scénographe, pour trouver de nouvelles formes de lumières dans la deuxième partie, en créant notamment des réminiscences de couleurs sur des images en noir et blanc. L’écran suspendu sur un ballon blanc sera un moyen de s’élever. On projettera aussi des extraits de textes, l’écriture guidant les personnages lorsqu’ils sont plongés dans l’obscurité ou le silence.



Qu’attendez-vous de votre collaboration avec le chef d’orchestre Nicolas Ellis ?


 Lors d’une brève rencontre, j’ai vu le regard de ce chef pétiller en écoutant ma proposition. Je l’ai aussi trouvé très joueur, proche des musiciens, et plein d’humour, en le voyant diriger María de Buenos Aires d’Astor Piazzolla à Rennes. Je souhaite que nous gardions ce regard réciproque pour accompagner nos deux démarches.



Que vous apporte l’opéra par rapport au théâtre ?


Je suis musicien de formation, et je joue de la batterie et de la trompette dans tous mes spectacles de théâtre, où je reste maître du temps et des ambiances. Ce temps est dicté à l’opéra par la partition et les chanteurs, mais je me suis régalé en montant The Rake’s Progress. Je me réjouis de retrouver Elsa Benoit, avec qui il y a eu une vraie rencontre artistique, dans le rôle de Pamina. Je travaille avec les chanteurs comme avec les comédiens, ne surlignant ni une intention ni une émotion mais retenant l’endroit où l’on se laisse naturellement déborder par l’aspect musical.



Propos recueillis par Christophe Gervot, printemps 2024

Angers Nantes Opéra