Entretien avec Emiliano Gonzalez Toro, directeur musical


Après le concert d’octobre 2021 au Théâtre des Champs-Élysées, le ténor Emiliano Gonzalez Toro retrouve à Nantes le rôle-titre d’Il Ritorno d’Ulisse in patria de Monteverdi, tout en dirigeant l’ensemble I Gemelli qu’il a fondé en 2018 avec la soprano Mathilde Étienne. Un retour aux sources de l’opéra, dans une énergie de chaque instant, basée sur un travail d’équipe entre musiciens et chanteurs. 


Comment présenteriez-vous l’ensemble I Gemelli et quels en ont été les premiers temps forts ?


Emiliano Gonzalez Toro : Tout est né de la nécessité, après vingt ans de carrière, de prendre part à la production pour aller au bout de nos idées. C’est ainsi que nous avons choisi, pour débuter, une œuvre inconnue, Les Vêpres de Chiara Margarita Cozzolani, abbesse milanaise du XVIIe siècle, afin de donner une impulsion à cet ensemble en trouvant un son, une dynamique et une méthode de travail. Durant la pandémie, nous avons poursuivi cette recherche commune en réalisant au Théâtre Graslin la captation de Dolce Tormento, sur des airs et des cantates allant de Monteverdi à Cavalli, dont Mathilde assurait la mise en espace. Nous avons également enregistré le répertoire du légendaire ténor Francesco Rasi, pour qui le rôle d’Orfeo avait été écrit, sous le titre Soleil noir.


Quelles sont les spécificités d’Il Ritorno d’Ulisse in patria ?


Des trois ouvrages de Monteverdi qui nous sont parvenus, Il Ritorno est injustement le moins considéré.

Tout est prétexte à un traitement musical, Monteverdi s’amusant aussi avec ses propres outils et se parodiant lui-même. Le lamento très poétique de Pénélope, comme celui d’Ulysse se réveillant à Ithaque, atteignent des sommets d’émotion, alors que les passages comiques, trouvant leur source dans la commedia dell’arte apportent un mélange des genres où un public savant comme un public populaire peut trouver son bonheur.


À quels personnages et à quels passages êtes-vous particulièrement sensibles ?


L’œuvre est riche de chacun de ses personnages, tous s’avérant nécessaires et intervenant régulièrement dans l’action. J’éprouve une affection particulière pour les sept figures de ténors qui interviennent dans cet ouvrage, étant ténor moi-même, qui feraient perdre une couleur si l’une d’elles était ôtée…L’épreuve de l’arc me touche particulièrement, me faisant songer, par le spectaculaire massacre des prétendants, à Turandot. Je suis également très sensible à l’arrivée d’Ulysse, travesti pour ne pas être reconnu trop vite et faisant semblant d’être faible et sans défense. Les passages bouffons sont de savoureux moments de théâtre dans le théâtre où l’on rit beaucoup malgré le tragique.


Vous retrouvez pour Angers Nantes Opéra le rôle d’Ulysse, tout en dirigeant votre ensemble. Comment peut-on à la fois interpréter un personnage et diriger l’ouvrage dans sa totalité ?


Nous sommes partis de l’hypothèse d’une direction musicale n’ayant aucune raison d’être à l’époque de Monteverdi, afin d’envisager le travail de façon différente. Pour monter un opéra sans que personne ne dirige, nous avons repensé le cadre et la méthode, permettant aux chanteurs comme aux instrumentistes d’avoir un même vocabulaire, une semblable énergie et une manière commune de se mouvoir en faisant de la musique ensemble. Je dirige toutes les répétitions musicales tandis que Mathilde gère la dimension scénique. Une fois le spectacle monté, on peut alors se passer du chef, comme du metteur en  scène, dans une énergie jouissive et contagieuse où chacun transmet successivement à l’autre un relais tout au long de la représentation, comme on se passe la balle durant un match de football. Le public ne doit voir que le plaisir que nous avons à jouer ensemble, notre mission restant, avant tout, de l’inviter à voyager hors de son quotidien.  



Entretien réalisé par Christophe Gervot (2023)

Angers Nantes Opéra