Jean-Marie Machado, c’est votre premier opéra. Comment avez-vous abordé l’écriture, tant pour les voix que pour l’orchestre ?
Jean-Marie Machado : La genèse de cet opéra, c’est d’abord un aller-retour avec le librettiste Jean-Jacques Fdida. L’argument, puis le synopsis et enfin le livret me sont arrivés peu à peu et, intuitivement, j’ai commencé à créer, au fur et à mesure, des ambiances, voire des univers musicaux, qui s’imposaient naturellement à moi. La composante celtique est allée de soi quand Jean-Jacques a écrit toute une scène avec la fée Morgane. Mais tout le reste s’est construit avec des évidences pour moi lorsque d’autres univers musicaux semblaient convoqués par le livret. Parfois, il fallait un peu batailler pour trouver le ton juste, mais la plupart du temps, tout se passait de la manière la plus évidente du monde. L’émotion suscitée par le livret se muait en contrepoint : au-dessus d’une basse issue du langage qui m’est le plus consubstantiel se développait tout naturellement une mélodie
Votre musique se nourrit de multiples influences faisant naître de véritables paysages sonores. Comment définiriez-vous les paysages de La Falaise des lendemains ?
J.-M. M. : Mon langage est nourri de rencontres. Au départ, il y a le jazz et l’improvisation. Mais j’ai toujours gardé, dans mon écriture même, la possibilité d’inventer in situ. C’est une autre manière de pratiquer l’improvisation. Non moins constitutive de ma musique est l’influence de l’Espagne et du Portugal. Mais ici, elle va être relativisée par une inspiration des musiques d’aujourd’hui : la musique dite contemporaine, que j’aborde plus en amateur qu'en chercheur d’un certain tempérament musical ; de même, ancrés dans les années 1970, une certaine pop music et ce rock progressif nourri des prouesses de la guitare électrique, comme chez Pink Floyd.
Vous qualifiez votre œuvre de jazz diskan opéra, pouvez-vous nous dire sa signification ? Est-ce qu’il y a un lien avec le contre-chant breton ?
J.-M. M. : Diskan, ça veut dire contre-chant. Un diskan, c’est cette phrase qui se passe en relais.Si, dans ma composition j'amène le jazz, il y a un contre-chant avec une autre musique qui apparaît. L’idée, c’était donc de faire ce passage entre le jazz, le monde celtique et le monde opératique. Tout interagit comme dans un tourbillon : le jazz, les traditions, l’écrit, les instruments, les voix, le théâtre, la danse, la musique, le texte, et tout cela va entrer en mouvement.
La conception de la mise en scène a été pensée très tôt dans le projet, avant même l’écriture de la partition. Comment avez-vous travaillé ensemble ?
Jean Lacornerie : Ce qui est passionnant pour moi effectivement, c’est de participer à ce projet avant que tout ne soit écrit. J’ai pu travailler avec Jean-Marie, notamment sur le choix des voix, de l’équipe avec qui nous allions monter ce spectacle. Et puis, j’ai compris l’importance de l’orchestre, qui est lui aussi comme un personnage. Le choix que nous avons fait sur la scénographie est donc de mettre les musiciens sur le plateau, contrairement à ce que l’on fait à l’opéra avec l’orchestre dans la fosse et les chanteurs en scène. Ainsi, les instrumentistes voient le spectacle et y participent. Et puis, j’ai bien vu – même si je ne connaissais alors qu’un tiers de la partition – que la musique de Jean-Marie donne déjà un paysage, une atmosphère ; il n’y avait donc pas besoin de représenter ce qui est déjà donné par la musique.
Le texte est une sorte de grand mélodrame, qui pourrait être le livret d’un opéra vériste. Nous sommes dans un récit extrêmement violent et exacerbé. Mais c’est dans le lyrisme, dans l’opéra, que ces sentiments et ces affrontements vont pouvoir trouver leur expression juste. À cela s’ajoute une belle dimension fantastique. Le texte oscille ainsi entre réalisme et abstraction, mélange résolument moderne.
À quel genre de composition faut-il s’attendre ? Y trouvera-t-on les alternances d’airs et de récitatifs ?
J.-M. M. : Le texte porte beaucoup d’imaginaire et de sonorités. J’ai tout de suite donné des caractéristiques aux chants, aux « airs ». Choisir les tessitures avec Jean m’y a beaucoup aidé. Certains personnages sont très lyriques, d’autres parlent davantage ou chantent des sortes de récitatifs. J’ai délibérément souhaité une diversité d’approches.
J. L. : Mais j’ai le sentiment que l’on reste sans cesse dans le flux musical. Même la voix parlée s’inscrit dans l’orchestration. L’intérêt, comme l’a voulu Jean-Marie, c’est que les chanteurs ne viennent pas tous du même univers musical, de même que les personnages appartiennent en fait à des mondes différents.